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Blog à part

Si ça ne vient pas de l'AFP c'est que ça n'est pas réellement arrivé!


La Camorra en Espagne. Partie 1

Publié par Desmoulins sur 12 Janvier 2019, 19:56pm

Catégories : #Camorra, #Gomorra, #Espagne, #Naples

Comment la Camorra s'est retrouvé en Espagne ? A priori comme toute bonne organisation criminelle, par appât du gain, celui d'une terre quasi vierge (enfin presque) à défricher et où investir le fruit d'une activité fortement rémunératrice le trafic de drogue. 
Ce que l'on sait c'est que, si certains ont réinvesti les deniers gagnés lors de plusieurs braquages (Amato-Pagano) d'autres ont eu le nez d'abord dans le tabac et le haschisch avant de blanchir leur argent sous le soleil hispanique (Nuvoletta-Polverino). 
C'est l'histoire de 2 stakhanovistes du crime. Raffaele "Lello" Amato et son beau-frère Cesare Pagano (Les Salvatore Conte de Gomorra si vous préférez). Ces deux là, aidé par le frère de Raffaele, Elio, en avaient assez de mener cette vie de braqueurs et de tueurs pour le compte du parrain de Secondigliano, Paolo 
«Ciruzzo 'O Milionario» Di Lauro (le "Don Savastano"). Amato notamment est connu pour avoir été un des tueurs patentés de Paolo lors d'un conflit à Mugnano (commune au nord de Naples). On le soupçonne même d'au moins 8 assassinats entre 91 et 93. Rompus aux joutes, Lello a les dents qui raient le parquet.
Pour l'autre clan napolitain "hispanophone", les Nuvoletta-Polverino, ils se sont intéressés très tôt à l'immobilier espagnol sans doute dû à leurs "liens commerciaux" avec la pègre locale des clans galiciens, des précurseurs en matière de route de contrebande depuis la fin des années 70. Les pêcheurs locaux se sont vite reconvertis en transporteur de toutes sortes de marchandises, devenant les chevilles ouvrières logistiques de bon nombre de réseaux européens.

La question principale à se poser est donc mais pourquoi l'Espagne ? 
Elle est déjà intimement liée aux métiers qui sont ceux de courtier et de narco-broker dont on va développer certains profils et parcours dans cette série d'articles. On peut se poser une autre question en conséquence, comment la Camorra est devenue une des actrices majeures du trafic international de drogue en Europe Continentale ?

Les côtes espagnoles et son immbolier (IBTimes UK)

Les côtes espagnoles et son immbolier (IBTimes UK)

Commençons par cette deuxième question. 
Ce qu'il faut d'abord faire c'est un petit retour en arrière sur les activités camorristes hors Naples. Et on va vite se retrouver dans un pays qui a beaucoup compté pour cette organisation, j'ai nommé les Pays-Bas (oui promis l'Espagne arrive). On note déjà la présence d'italiens dans les 70's et notamment une branche de la Cosa Nostra qui s'y installe dirigé par les frères Cellini, qui feront des affaires avec la pègre locale et notamment "Zwarte Joop", le roi du Quartier Rouge d'Amsterdam.
A l'époque le trafic d'héroïne était le marché number one, French Connection puis Pizza Connection, les italiens étaient toujours de la partie et la Hollande la terre de prédilection par où passait toutes les «marchandises». On retrouve notamment le grand parrain camorriste de l'époque (avec Raffaele Cutolo son pire ennemi), Michele Zaza. 
Zaza s'est surtout spécialisé dans la contrebande de cigarettes (en lien avec les clans galiciens) mais ne rechigne pas au trafic d'héro et de cocaïne en tant que participant principal à la Pizza Connection en lien avec Cosa Nostra italienne (dont il est un aussi un affidé, chose rare) et le clan Cuntrera-Caruana, des truands français résidus de la French notamment Stéphane Guiragossian, Emile Diaz et André Bousquet et la mafia italo-américaine. Le réseau tombe en 1980 en Italie et en 85 aux USA (les procès de 1983 et 1987 conduiront à de lourdes peines qui scellera définitivement le sort du trafic d'héroïne à l'échelle international). Michele Zaza décède en juillet 94 (après plusieurs aléas avec la justice française) et son neveu Ciro Mazzarella reprendra la suite. Ce dernier d'ailleurs appréciera aussi l'Espagne (où il se fait arrêter en 2002). 

On note aussi une première implantation camorriste en Amérique du Sud dans les années 70 avec notamment Umberto Ammaturo et Gennaro Ferrigno. Ferrigno avait fui Naples après un vol et avait réussi dans les affaires au Pérou avec une chaîne de grands magasins. Il s'est associé avec Umberto dans la cocaïne. Le 5 mars 1971 il est abattu par Antonio Spavone. Umberto lui est un solitaire, il n'a pas de clan affilié et a commencé comme tout le monde par le trafic de cigarettes. Montant en gamme il est arrêté en 1974 avec de la cocaïne dans une valise diplomatique du Panama en compagnie d'Aniello Nuvoletta. Il s'échappe de prison deux ans plus tard. Umberto surnommé "O Pazzo" est une légende bien qu'il soit devenu un pentito (repenti) en 1993.

Et on peut encore nommer les frères Torsi, Francesco, Renato et Bruno, membres de la Nuova Famiglia qui avaient fui le pays pour le Brésil après l'enlèvement du bijoutier Luigi Presta en février 1983 et le paiement d'une rançon d'1,7 milliards de lire (900 000 euros). Leurs appels à leurs proches à Naples sont interceptés entre juin et octobre 1983. Ils reviennent en Italie entre octobre et novembre 1983 mais, proche d’être arrêté, Francesco se suicide. Les deux autres frères décident de repartir en Amérique du Sud : au Venezuela puis au Brésil. Ils s’installent dans le port de Santos et se présentent comme des hommes d’affaires dans l’immobilier. Ils sont finalement arrêtés le 18 mai 1990. Ils sont incarcérés à la prison de Carandiru (nord de São Paulo) où 111 détenus sont massacrés par la Police Militaire le 2 octobre 1992. Cet événement entraînera d’ailleurs la création du PCC en 1993 dont une rumeur fait état que les frangins y auraient joué un rôle. Mais le 26 août 1992, Bruno Torsi réussit à s’évader de la prison, justement grâce à un uniforme de la Police Militaire. En réaction, les autorités transfèrent Renato dans un pénitencier d’État. Capturé le 25 mars 1993, Bruno est envoyé dans la prison de Taubaté. Son frère le rejoint et y reste jusqu'en mars 1994. (UOL - Crimorg.com)

L'Eldorado

Néanmoins les Pays-Bas resteront encore quelque temps l'Eldorado pour les mafieux italiens et différentes organisations vont y cohabiter, les hollandais, les serbes, les triades hongkongaises, les anglais, les turcs, les israéliens et les «russes». Côté italien on retrouve surtout les camorristes du clan Stolder (qui bossait pour le clan Contini) et le clan Abate de San Giorgio a Cremano mais aussi les romains de la Banda Magliana. Les italiens avaient choisi de collaborer entre eux via une cosca de la 'Ndrangheta (les De Stefano) en Lombardie pour faire venir la drogue jusqu'au pays. Cette cosca collaborait avec une famille napolitaine locale, les Batti, dirigé par Salvatore et qui était lié au NCO (Nuova Camorra Organizzata) de Raffaele Cutolo alors en déliquescence depuis l'arrestation du boss et qui voyait la Nuova Famiglia (futur clan des Casalesi) éliminer un à un les affidés du "Professore". Le début des années 90 est instable et finalement la «fédération 'Ndrangheta-Camorra» s'effondre en 1990 avec la volonté des Batti de négocier directement avec les fournisseurs d'héroïne turcs, cet effondrement se réglera dans la violence la plus totale, annihilant quasi totalement les Batti qui seront poursuivis jusque dans leur fief campanien. Et provoquant même la mort du fils de Raffaele, Roberto Cutolo en décembre 1990 dans un échange de bon procédés entre calabrais et napolitains.
A cela s'ajoute qu'en début de cette même année Filippo Abate boss camorriste de San Giorgio a Cremano est arrêté tout comme son fournisseur, un boss turc basé en Hollande. 

Un des gros grossiste turc de l'époque Branco Adul Halik, est lui tué dans une pizzeria à Amsterdam le 6 juin 1990 sur ordre du référent du clan Stolder, Lorenzo R.. Ce règlement de comptes (sans compter celui d'un trafiquant turc membre des Loups Gris 2 mois plus tôt) va provoquer des réactions en chaîne qui vont faire des Pays-Bas une vraie poudrière et où tout le monde commence à s'entre-tuer ou à se voler la came, aux Pays-Bas comme en Italie d'ailleurs. De plus les assassinats des parrains comme Klaas Bruinsma et le boss yougoslave Ljubinko Becirovic vont commencer à quelque peu balkaniser le milieu du trafic de drogue européen. La cocaïne commence à faire tourner la tête à tout le monde, les sommes en jeu augmentent, la violence aussi. 
Car si l'héroïne et le haschisch sont encore les drogues très prisées on note qu'au mois d'octobre 1990, Francesco Antinolfi, du clan Stolder, est arrêté avec 23 kilos de cocaïne dans sa voiture à Amsterdam. La Banda Magliana elle selon des infos policières faisait passer 100 kilos de coke par semaine à Rome (à vérifier quand même). Les quantités commençaient à être importantes.

Raffaele Cutolo (Sylo24)

Raffaele Cutolo (Sylo24)

D'abord très présent, les camorristes vont donc peu à peu déserter la Hollande (au contraire de la mafia des Pouilles la Sacra Corona Unita qui va y faire son nid ainsi que la 'Ndrangheta) pour lorgner sur l'Espagne. La raison est aussi que les Pays-Bas manquent d'opportunités pour réinjecter l'argent dans le circuit économique légal là où l'Espagne ne manque pas d'atouts surtout immobiliers. Et on va le voir les possibilités étaient énormes et les camorristes ont emprunté un chemin que peu avant avaient fait.

Certes la Costa Brava et la Costa del Sol sont déjà envahis par des trafiquants (enfin surtout d'ex braqueurs en cavale) principalement français, et lié au Milieu lyonnais, commençant à investir dans l'immobilier, on trouve aussi des anciens de l'OAS (Organisation Armée Secrète, des pro Algérie française), qui pour certains seront aussi actifs au GAl (groupement anti ETA, fruit d'une collaboration étatique franco-espagnole) et pour qui l'Espagne a été très accueillante depuis les années 60. On retrouve notamment «au centre de presque tout» la figure corse Jacques Antoine C. un référent des clans galiciens qui ont déjà commencé à trafiquer en masse du cannabis et cocaïne après avoir fait fortune dans la cigarette. On y aperçoit le célèbre marchand d'armes argentino-syrien Montez al-Kassar, ami de Pinochet et de papa Assad. Quelques anglais s'y trouvent aussi dont le fameux Charlie Wilson membre du commando du «casse du siècle» refroidi sur le perron de sa maison à Marbella le 23 avril 1990 après avoir balancé un nom qu'il fallait pas aux flics visiblement (celui de Roy Adkins, gros trafiquant anglais bossant pour le parrain hollandais Klaas Bruinsma). Roy est lui même abattu à Amsterdam le 28 septembre de la même année.

contrôle de l’État sur les financements de la construction

Mais les italiens ne sont pas en reste et les premières traces d'implantation véritable de la Camorra daterait de la fin des 80's avec le clan Nuvoletta de Marano. Ce sont eux qui ont commencé à réaliser d'importants investissements immobiliers en Espagne, d'abord aux Canaries puis sur la côte méditerranéenne. Tout ça grâce au contrôle de l’État sur les financements de la construction et à l'explosion de la bulle immobilière. Mais aussi grâce à certains élus corrompus et appâtés par l'argent des criminels. Dans ses années là, le maire de Marbella Jesus Gil y Gil, les poches pleines de billets verts  fermait allègrement les yeux sur tous les chantiers de construction illégaux de la zone. On peut le dire, il a bétonné la ville. Et sa successeure, Marisol Yagüe, élue en août 2003 n'a fait que reprendre le flambeau, étant issue du même parti. Toutefois elle est mise en examen le 29 mars 2006 par le juge Miguel Ángel Torres qui ordonne sa mise en détention provisoire dans le cadre de l'Opération "Malaya". Elle est remplacée temporairement à la mairie par l'ex-joueur de l'Atlético de Madrid, Tomás Reñones. Le 7 avril 2006, pour la première fois en Espagne, le Gouvernement dissout la mairie de Marbella.

Profitant de ces bien aveugles locaux, le clan Nuvoletta (et bien d'autres) recyclait ainsi le produit du trafic de haschisch, mais aussi de toutes les activités qu'il exerçait en Campanie et qu'il a reproduit à petite échelle sur la côte sud de Tenerife, dans les zones touristiques de Arona et Adeje. Les Nuvoletta se sont ensuite alliés aux Polverino, «un «petit» clan de Marano (considéré comme un sous groupe des Nuvoletta). Ces derniers dirigé par Giuseppe Polverino, voulaient aussi toucher au trafic de cannabis et ont donc demandé une «part» du business (en échange d'un pourcentage non négligeable). On le voit la Camorra a pris une autre direction que la 'Ndrangheta ou Cosa Nostra pour blanchir son argent. Ces dernières et leurs diasporas américaines avaient surtout misé sur les banques offshore, du Panama, du Canada et parfois de Suisse via un des plus gros blanchisseurs de l'époque, l'allemand Andreas Behrens, qui officiait aussi comme le blanchisseur d'Escobar, et les libanais qui deviendront des champions en la matière.

La carte de l'ile de Tenerife (idealista)

La carte de l'ile de Tenerife (idealista)

Les Nuvoletta en Espagne était dirigé par Giuseppe Felaco, beau-frère d'Angelo Nuvoletta le boss. Il s'est installé à Adeje et c'est Armando Orlando qui a réalisé les premiers investissements avec l'argent provenant d'activités criminelles. La structure originale comptait en plus un financier, Prieto Nocera, Felaco et son épouse, la britannique Sheryl R. (la maîtresse de Felaco) et le «courtier» du clan Polverino, Rafaele Spasiano. Ce réseau sera extrêmement efficace et va s'étendre jusque sur la Costa Dorada de Tarragone, la Costa del Sol à Malaga et à Alicante. Des centaines de millions d'euros investis dans des appartements, des complexes immobiliers avec l'action de deux autres entrepreneurs Mario Varriale, Riccardo Capasso. 
Dans  les années 90, avec le déclin des Nuvoletta, la transition avec les «héritiers» Polverino et la structure en trois groupes régionaux de l'organisation sur la Costa Dorada de Tarragone, sur la Costa del Sol dans la province de Malaga et Alicante, a progressivement fait déplacer le business du nord au sud de la péninsule, alors que la pression des enquêteurs augmentait. Cette position à Tenerife leur permettait aussi le contrôle du monopole du trafic de haschisch du Maroc vers Naples en lien avec les galiciens. 

La pression est si forte que c'est ce réseau qui tombe en octobre 2011 avec "l'opération Pozzaro". Et c'est la première fois que des blanchisseurs de la Camorra étaient interpellés. Felaco meurt d'un cancer peu après son arrestation. Son fils Luigi, recherché dans la même affaire est abattu à Calvizzano le 6 décembre 2012. La cause à des remous interne chez les Polverino.
14 personnes sont alors arrêtées à Adeje. Parmi les interpellés on trouve Domenico Di Giorgio, un avocat italien qui en plus se présentait sur une liste du Parti Populaire (le parti de Mariano Rajoy premier ministre d'alors) pour les élections municipales. Toutefois le 27 avril dernier il avait démissionné de son poste évoquant des raisons personnelles. Mais l'ambition d'infiltrer une mairie était bien là. L'opération Pozzaro permet la saisie de 32 millions de biens mobiliers et immobiliers. Le réseau était composé de 33 entreprises crées dans les 90's. Le grand projet fut la construction du complexe touristique «Marina Palace» d’Adeje, entre 2006 et 2007, avec 162 appartements, dont le loyer aurait été cédé au clan pour plus de 12 millions d'euros par an.
Le procès qui commence en janvier 2012 (et se poursuit jusqu'en mai) est un fiasco complet pour la justice et 20 accusés, repartent libre sur les 21 avec seulement une condamnation pour une possession d'arme à feu pour Vincenzo Panico. A noter que le boss Giuseppe Polverino avait juste été appelé à témoigner via la visio-conférence (il avait été interpellé en Espagne en mars).

Ce contrecoup n'arrête pas pour autant totalement les Polverino. Ils vont s'éloigner quelque peu de la côte pour investir à Madrid avant de revenir en force à Barcelone mais on y reviendra.

Giuseppe Polverino (Stylo24.it)

Giuseppe Polverino (Stylo24.it)

Raffaele Amato quand à lui, dans les 90's, n'est encore qu'un homme de main et un tueur à gages du puissant Paolo Di Lauro. Montant progressivement en grade, on le retrouve en janvier 2001 cité pour la première fois dans les journaux après son arrestation dans un hôtel de Casandrino (11 km au nord de Naples). Selon les enquêteurs, il s'y trouvait pour rencontrer des trafiquants allemands et néerlandais pour acheter six kilos de cocaïne venu des Pays-Bas, cachés dans une roue de secours. Il est finalement acquitté au procès. Au même moment son boss Paolo a des ennuis et part en cavale laissant les rênes à son fils aîné Cosimo (le Genny Savastano irl) aka "F1" (pour Figlio numero 1). Les relations entre ce dernier et Amato vont vite se dégrader. Cosimo accuse Amato de détourner une grande partie des gains du trafic de cocaïne (mais on y reviendra). Amato lui renforce ses liens, tisse sa toile, et attend son heure. En élargissant son réseau il fait une rencontre déterminante pour son avenir, celle de Raffaele Imperiale. Originaire de Castellamare di Stabia, Imperiale n'est pas un mafieux, c'est un entrepreneur installé aux Pays-Bas mais son zèle et son opportunisme va s'avérer précieux.

Imperiale était-il déjà en lien avec le trafic de drogue via l'Amérique du Sud lorsqu'il rencontre les dirigeants des Amato-Pagano ? La réponse est non, pas du tout. En tout cas son nom est évoqué pour la première fois dans un rapport d'enquête de la Cour de Naples en octobre 2014, à coté des noms de Carmine Amato (le neveu de Cesare Pagano et Raffaele Amato), Vincenzo Aprea et aussi d'Attilio Repetti, un autre courtier bien connu originaire de Gênes sur lequel on reviendra.
Comment Imperiale a obtenu ce crédit auprès des Amato-Pagano ? Il est évident que les Pays-Bas est un pays où tout est possible....en matière de drogues. Il n'était pas rare que les cartels qui dans les 90's, se démenaient en Europe pour trouver des nouveaux marchés (car l'américain était saturé), envoient des «émissaires» sur le Vieux Continent. 
Ces derniers étaient chargés de tâter le terrain, trouver des partenaires et commencer à faire rentrer de la fraîche. Comme ce fut le cas entre le trafiquant Stan Carnall de la Liverpool Mafia et Mario Halley, un jeune diplômé hollando-colombien lié au Cartel de Cali qui avait créé une fausse société d'import la Conar Corporation. La mafia en col blanc par excellence. 
C'est tout à fait le profil de Raffaele dont la publication antimafiaduemila en fera un portrait fort intéressant en s'appuyant sur un document fourni par les avocats de Raffaele, alors qu'il était recherché depuis le 27 janvier 2016 et vivait déjà caché à Dubaï. Ce document raconte dans les grandes lignes ses activités criminelles et a été corroboré par les stups italiens.

Raffaele Imperiale (cronache della campania ; Gangster Inc)Raffaele Imperiale (cronache della campania ; Gangster Inc)

Raffaele Imperiale (cronache della campania ; Gangster Inc)

Il serait le fils d'un architecte de Castellammare, Ludovico, qui fut même président du club de football local, la Juve Stabia. Pas vraiment un enfant de quartiers popu comme ses associés. Il est dit qu'enfant il a été enlevé par des hommes avec demande de rançon. Certains disent qu'il a en fait échappé à ses ravisseurs et d'autres que papa a payé. Quoiqu'il en soit, l'enfance du garçon sera dorénavant faite de voitures blindés et de carabiniers qui l'accompagnent à l'école. C'est dans cette école qu'il rencontre un de ses futurs affidés, Gaetano Schettino. 
Au début de la vingtaine, Lelluccio (Lelluccio Ferrarelle pour les amis) décide d'abandonner l'entreprise familiale pour se consacrer au négoce de vins et d'eaux minérales, puis s'envole pour Amsterdam rejoindre son frère puis il le remplace après son décès (on parle d'une overdose) à la direction du coffee-shop Rockland. 1er contact avec la drogue, légale celle-ci (enfin sa consommation).
Imperiale, comprend qu'il peut gagner plus, en achetant plus ! Il va faire une rencontre importante, entre la fin de 1997 et les premiers mois de 1998, celle d'Antonio Orefice dans un restaurant italien de Prinsengracht. Orefice est un homme du clan Moccia d'Afragola qui sera tué en 2005 (ndm le 8 novembre à Framattagiore). A l'époque Antonio est le premier négociateur avec les trafiquants locaux.  
La conversation entre lui et Lelluccio aurait tourné autour d'un trafic d’ecstasy et hop la première commande de tablettes se met en place derechef. Imperiale part livrer lui-même la came à Naples sans coup férir.

(Giustizia News)

(Giustizia News)

Orefice le recommande à Elio Amato (le frère de Raffaele). Cette fois, tout ne se passe pas comme prévu: la drogue est livrée, mais sa qualité est médiocre. Amato paie mais donne deux semaines à Imperiale pour y remédier. Celui-ci comprend tout de suite que le marché de la drogue repose plus que tout autre sur la confiance: le client a toujours raison. Dans les délais prescrits, il résout tout à ses dépens et ses frais. Les fournitures deviennent régulières et tous les deux mois, Lelluccio livre un stock de comprimés dans les temps. Ensuite le duo va monter en gamme et c'est Elio Amato qui prend l'initiative de demander à Rafa s’il peut se procurer de la cocaïne et Imperiale va se tourner vers un trafiquant hollandais Richard Van der B., connu à Amsterdam sous le surnom "Le Blond", officiellement propriétaire d'un café, le Betty Boop et très implanté en Espagne aussi. Rick a des contacts avec des narcos sud-américains (ndm : il est connu comme un proche et le bras-droit du gros trafiquant batave Robert "Mink" Kok) et il achète d'énormes quantités de cocaïne qu'il stocke pour les vendre ensuite à de gros courtiers, ce que Raffaele n'est pas encore. Grâce à un intermédiaire indonésien, Le Blond accepte de fournir Imperiale.
Van der B., connait bien son affaire, il avait déjà été inondé de drogue la ville de Cesano Boscone en Lombardie par l'intermédiaire de Massimo C., un gros trafiquant de la zone arrêté en 97 et condamné à 15 ans de prison. Son épouse, sa sœur, sa mère, sa belle-sœur et même sa belle-mère ont continué son oeuvre. 
Rick représentait l'excellence: de bonnes choses à des prix abordables. 
Le deal accepté, la drogue part d'Amsterdam, mais une fois de plus, le premier chargement soulève une série de problèmes: à Secondigliano, les transporteurs de Van de B. ne trouvent pas la bonne personne pour recevoir la marchandise, ils demandent aux alentours (selon les dires d'Imperiale) et là ils voient arriver Raffaele Amato qui décide de gérer personnellement la cargaison sans en parler à Paolo Di Lauro. Imperiale explique: «J'ai appris par la suite que la drogue avait été commandée par Amato, en particulier par Elio, à l'insu des Di Lauro pour qui, à l'époque, les Amato bossaient». Une première preuve d'une sédition qui ne saura plus tarder.

Rick dit "Le Blond" (Misdaadjournalist)

Rick dit "Le Blond" (Misdaadjournalist)

Il y a donc une fissure dans "l'Alliance de Secondigliano" qui, jusque-là, gérait et partageait la drogue qui arrivait à Scampia. Une fissure importante: la fortune de la société "Amato-Di Lauro and company"  découlait précisément de la création d'une "Spa", Société par Actions avec sept partenaires (Paolo Di Lauro, Raffaele Amato, Rosario Pariante, Raffaele Abbinante, Patrizio De Vitale, Antonio Leonardi, Enrico D'Avanzo) qui ont acheté et vendu de la cocaïne directement auprès des autres clans. Depuis 1999, cette Spa disposent déjà d’un canal privilégié et direct avec l'Amérique du Sud.
On raconte que c'est Amato, parti pour l'Amérique centrale, qui avait ouvert ce canal et s'était même offert en otage dans l'attente du paiement de la première cargaison (NDLM: dans la série Gomorra, Genny Savastano est offert en otage par son père aux trafiquants). Il faut du sang froid et Lello n'en manque pas.
Suite à ça, l'organisation avait décollé et inondé Naples et ses environs avec de la drogue de qualité vendue à bas prix, créant une formule couronnée de succès: la coke populaire. Cependant, Amato a l'ambition, dorénavant de gérer son propre canal et de ne le partager avec personne d'où ce contact avec Imperiale. Ce qui signifie multiplier les gains et créer une holding capable de dominer le marché en se distinguant de tous ses concurrents en les écrasant ou en devenant leur fournisseur exclusif.

100 kilos de coke écoulé chaque mois

Les gains vont être colossaux, en 2011 la police tombe sur des livres de compte du clan et les chiffres donnent le vertige. Rien que les piazze de Scampia et de Secondigliano c'est du 96 millions d'euros par an, 100 kilos de coke écoulé chaque mois ce qui donne du 430 000 euros de CA par piazza. Cependant, il faut déduire les dépenses, soit l'argent pour les familles des prisonniers, l'achat des armes, les salaires des hommes ect.... Imperiale et Amato importent chaque année deux tonnes de cocaïne: chaque kilo est payé cinq mille euros et vendu à 42 mille. Ensuite, chaque gramme est divisé par six. À partir d'un kilo de poudre blanche, vous obtenez au moins six mille doses qui sont transmises en "palette" et qui coûtent entre 13 et 40 euros. Mais on n'y est pas encore, pour atteindre ce but Amato et son beauf Cesare Pagano vont devoir déclencher une guerre.

Preuve de leurs statuts de nouveaux riches, c'est à cette époque qu'Amato et Imperiale font l'acquisition de deux tableaux de Van Gogh («Vue de la mer à Scheveningen», 1882 et «la Congrégation quittant l’église réformée à Nuenen», 1884), pour 5 millions d'euros, une broutille pour eux. Les deux tableaux avaient été volés le 7 décembre 2002 par Octave "Okkie" D. (un ami d'enfance du footballeur Patrick Kluivert chez qui il a vécu à Barcelone alors qu'il était en cavale) et Henk B. qui sont arrêtés en 2007. Les deux compères avaient entre temps vendu les œuvres à un mystérieux intermédiaire pour 300 000 euros. Les tableaux sont retrouvés en septembre 2016 au domicile d'un proche d'Imperiale, Mario Cerrone.

C'est un peu le temps de l'insouciance.

Mais la guerre guette déjà à leur portes.

 

Partie 1  http://jean-philippe.savry.over-blog.com/2019/01/la-camorra-en-espagne.partie-2.html

 

Sources : Antimafiaduemila ; Diaro Sur ;  Stephen Schneider report ; Cronache della Campania ; InterNapoli ; L'Espresso ; ABC ; Misdaadjournalist ; Ilformat.info ; il24.it ; Repubblica ; Gangsterinc ...

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