Tribulations de serbes en Afrique du Sud : mais qui a voulu la peau de Darmanovic ?

Cela commence comme un banal règlement de comptes, en Serbie. 

Le 6 mai 2018, George Darmanovich, 58 ans, est abattu par deux hommes à moto dans une rue de Belgrade. Touché de deux balles à l’arrière de la tête, il est décédé à l’hôpital. 
La victime avait la particularité de posséder la double nationalité monténégrine et sud-africaine. En effet il a vécu un long moment en Afrique du Sud, il était revenu s'installé en Serbie depuis 2014 mais était toujours, au moins jusqu’en avril 2017, membre de la State Security Agency, les services de renseignements sud-africains mais il avait aussi pour l'Unité des opérations spéciales. Ni plus ni moins. Rapidement le profil de cet homme détonne. Certes sulfureux mais pas vraiment mafieux non plus. Les informations arrivent avec parcimonie depuis l'Afrique du Sud ou visiblement il était bien connu. Darmanovich (de son vrai nom Gorgija Gorg Darmanovic) y était surnommé «le Boucher» ou «le Diable». 

George Darmanovic (EWN)

Il était même connu comme un proche de la pègre du Cap et lié à des figures du banditisme sud-africain comme Radovan Krejcir. Il était également associé à Nafiz Modak, un homme mis en examen pour racket et services de sécurité douteux dans les boîtes de nuit du Cap, et qui envisageait de liquider certains des dirigeants de la pègre afin d'assurer la sécurité des clubs. Frayant avec le crime organisé local, Darmanovic a aussi eu loisir de rencontrer nombre de mafieux serbes en cavale dans ce pays. L'un d'entre eux est le fameux Dobrosav Gavric. Son nom ne vous dit rien ? Et pourtant il a participé le 14 janvier 2000 à un des plus événements du crime organisé européen. 
L'assassinat de Željko Ražnatović aka Arkan, l'ex seigneur de la guerre devenu businessman et surtout le parrain de la mafia serbe le plus respecté de son temps et dont le culte de la personnalité a été poussé au paroxysme. 

En cavale en Afrique du Sud

Gavric est l'homme qui a tué Arkan même s'il nie toujours sa participation alors qu'il a été blessé et soutient qu'il n'était qu'un simple passant touché par des balles perdues. La veuve de Raznatovic sera pourtant catégorique à le reconnaitre lors du procès de 2006 après son arrestation. Avec ses deux complices (en fuite), il est condamné à 35 ans de prison. 
Gavric arrive à fuir est entre en Afrique du Sud (via la Bosnie, l’Équateur, le Pérou et Cuba), sous une fausse identité, en 2007, avec sa femme et ses deux filles. Sa véritable identité a été découverte après le meurtre du caïd de la pègre du Cap, Cyril Beeka, abattu en mars 2011. Son chauffeur et garde du corps, qui se présentait sous le nom de Sasa Kovacevic, avait été blessé au bras mais avait réussi à faire feu sur les agresseurs. Kovacevic s’est révélé être Dobrosav Gavric. Une fois sorti de prison, il est inculpé de possession de drogue, fraude et obtention de documents officiels sous un faux nom. Le 29 décembre 2011, la Serbie réclame son extradition et en septembre 2018, sa demande de statut de réfugié a été rejeté par  la Cour Constitutionnelle sud-africaine. Il doit désormais se battre pour éviter l’extradition vers la Serbie. D'autant plus que le brillant avocat qui assurait sa défense Pete Mihalik se fait assassiner au Cap le 30 octobre 2018. Apparemment à cause d'une autre affaire que celle de Gavric, mais on n'est jamais sur de rien.

Dobrosav Gavric (Jutarnji List)

Heureux hasard ou pas, un autre membre du commando qui a assassiné Arkan vivait en Afrique du Sud : Milan "Miki" Duricic et le 25 avril 2018, il est tombé sous les balles alors qu'il se trouvait dans sa jeep stoppée à un feu rouge à Johannesbourg. Une voiture s'est mise en travers de la route et trois hommes en sont sortis et ont fait feu. Il a fallu tout de même plusieurs jours avant d'avoir confirmation qu'il s'agissait bien de Duricic. La victime avait des papiers belges sur elle. Après confirmation de son identité on apprend que ce jour là Duricic avait rendez-vous avec un autre mafieux serbe en cavale, Milan «Debeli Miki» Glisovic, un membre du puissant clan Zemun. Le 17 juillet d'ailleurs un autre membre du clan en cavale, Darko Kulic, est abattu dans la banlieue de Johannesbourg. On dit qu'il aurait pu être tué car il savait qui avait assassiné Duricic et on évoque aussi à demi-mot sa possible implication dans la mort de Darmanovic.
N'en déplaise à certains, le clan Zemun est encore le vrai clan qui mène la barque de la mafia serbe (même si l'année 2018 a montré des signes de gros remous) et ce malgré l'incarcération de son leader, Luka Bojovic, en Espagne. Bojovic qui un ancien de la milice paramilitaire des "Tigres d'Arkan". Le monde est petit. Et le trajet Serbie-Afrique du Sud semble bien court. 

Milan Duricic (Kurir)

Mais la partie la plus intéressante sur la vie de Darmanovic, c'est qu'il avait ces dernières années donné des informations sur Jacob Zuma au journaliste sud-africain Jacques Pauw pour son livre «The President's Keepers», traitant des réseaux de pouvoir de la corruption du régime de Zuma. Le livre, publié en octobre 2017, décrit la création d'un "État mafieux dans l'État" et met en accusation Zuma et ses collaborateurs pour fraude, évasion fiscale, malversations financières et signale entre autres que Zuma reçoit environ 70 000 dollars par mois d'une entreprise privée.
Le livre mentionne le président de l'Afrique du Sud, les plus hauts officiers de police, les ministères de la défense et des affaires intérieures, ainsi qu'une série de ministres et d'ambassadeurs. 
Zuma va être l'objet de plusieurs poursuites judiciaires dont une pour corruption dans une affaire de ventes d’armes. Il est accusé d’avoir touché pour 4 millions de rands (261 435,78
EUR) de pots-de-vin de la part de l’entreprise française Thales lors d’un contrat d’armement de près de 4 milliards d’euros attribué en 1999. En 2018, il a dû démissionner de son poste de président de la République à cause de tous ces scandales et il vient de connaitre une nouvelle mise en examen dans une énième affaire de corruption  pour avoir accepté des pots-de-vins d'une entreprise de sécurité.

Les frères jumeaux

Le 6 juin 2018, un autre meurtre va jeter un autre pavé dans la mare sur la proximité de la Serbie avec l'Afrique du Sud.
Dejan Stankovic, 71 ans est tué à Prnjavor. Il était le père de Vojin Stankovic liquidé il y a un mois à Krusevac. Dejan a été abattu de plusieurs balles devant l'entrée du Golf Hotel. Il était bien connu de la police tout comme son frère jumeau, nommé lui aussi Vojin. Les Frères Stankovic, connus comme les Frères Zdrokinci sont connu de la police depuis 45 ans depuis un braquage de banque. Après avoir purgé leurs peines, ils sont partis à l'étranger et ont passé la majeure partie de leur temps en Afrique du Sud où ils ont travaillé comme mercenaires. Dejan avait même une pension et un passeport sud-africain lui aussi. A un mois d'intervalle, peut-on y voir une coincidence ? Pour le moment rien ne prouve qu'il y a un lien entre les deux assassinats malgré semble-t-il un passé commun dans pays où les serbes se croisent bien plus souvent qu'on ne veuille bien le dire.  Une preuve de plus ? L'assassinat le 24 septembre à Bedfordview (banlieue de Johannesburg), d'un homme d’affaires d’origine serbe de 43 ans tué dans sa voiture par deux hommes à moto. Djordje «George» Mihaljevic a tenté de fuir mais est décédé dans son véhicule. Il aurait été en conflit avec le caïd tchèque Radovan Krejcir qui a ouvert des commerces identiques à ceux de Mihaljevic : ses sociétés «Sandton Gold» et «Diamond Exchange» sont spécialisées dans le rachat d’or et de bijoux, souvent volés, tout comme la société «Moneypoint» de Krejcir…
Le conflit s’est accentué en 2013 quand Mihaljevic donne des informations sur le caïd tchèque au fisc sud-africain. Suite à cela, le père de Mihaljevic Petar Miso Mihaljevic, a été enlevé et torturé le 20 décembre 2013 (il décède quelques jours plus tard), obligeant le serbe a renvoyer sa famille en Europe. Djordje était aussi en affaires avec des très proches du parrain monténégrin, Darko Saric. Il entretenait surtout des bonnes relations avec Dobrosav Gavric mais surtout Milan «Miki» Duricic tué avec le même modus operandi.

Jacob Zuma (wikipédia)

Mais revenons à Darmanovic. Il est décrit dans le livre de Pauw comme un homme toujours armé avec des armes dans le coffre de sa bmw. Il n'avait pas de cartes bancaires, seulement de l'argent liquide qu'il surnommait «Inzin money» (Inzo Ismail était à l'époque le chef des opérations spéciales de l'Agence de Sécurité de l’État. Selon le livre, Lorsqu'un scandale d’État éclate en 2014 secouant le pays, les médias nomment Darmanovic comme le témoin clé du procureur de l’État. Devenu une cible, il a quitté le pays et est retourné en Serbie. Jacques Pauw a rencontré Darmanovic pour la dernière fois en juin 2017 à Belgrade. Sur son facebook, le journaliste après avoir appris la mort de George, avait déclaré ne pas être surpris de cet assassinat. «C'était un type incroyable, il était difficile de ne pas l'aimer, et pourtant il a été employé dans ce monde caché et sulfureux qu'est l'Agence de Sécurité d’État, dans un monde d'extorsion et de racket». «Il m'avait dit recevoir toujours de l'argent de l'Agence tous les mois et qu'elle avait envoyé un agent récemment pour voir si je tenais bien ma langue». 

Et vous qu'en pensez vous ?

Sources : Kurir, Blic, 24News, Le Monde, Crimorg