Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Blog à part

Si ça ne vient pas de l'AFP c'est que ça n'est pas réellement arrivé!


Le Otari Club

Publié par Desmoulins sur 13 Mars 2020, 16:08pm

Catégories : #Mafia Russe, #crime organisé, #Outsider, #Sport

Otari Kvantrishvili

Otari Kvantrishvili

Les enterrements sont des moments importants dans la vie des personnages publics, émouvants bien sûr et qui en disent long sur la personne qu'on a été. Qui vient vous rendre hommage ? Combien sont-ils ? Etc.... L'enterrement d'Otavi Kvantrishvili trois jours après sa mort a fourni en tout cas une image claire et net de ce qu'il représentait et les domaines qu'il incarnait ou quand affaires, criminalité, sport et politique ne font qu'un. Une image qui colle à cette nouvelle Russie d'après URSS où d'immenses fortunes se font et récompensent les nouveaux stakhanovistes capitalistes de l'Etat. Accompagné d'une nouvelle caste issue de la Perestroïka des hommes d'affaires s'accaparant des parts de marché en tuant leurs concurrents grâce à leurs hommes de main issus de clubs de sport qui eux mêmes formeront d'autres gangs qui constitueront les gangs les plus violents des années 90. Ces derniers se taillant de très large part de l'économie légale et illégale des commerces, aux grandes usines d'aluminium en passant par les stations-services et les puits de pétrole. Et tout ça à coup de flingues. L'heure n'est pas à la demi-mesure. Un véritable Far-East pour des hommes qui n'avaient pas froid aux yeux. Des hommes comme Otari, figure charismatique mais aussi reflet du chaos et de la corruption.

Otari V. Kvantrishvili est né le 27 janvier 1948 à Zestafoni en Georgie. Son père est un cheminot, la famille part vivre à Moscou où le gamin va développer un talent certain pour la lutte.  Lui et son frère toutefois baigne tout autant dans l'univers criminel que sportif, les gamins grandissent dans le quartier Krasnopresnensky, un coin pas très riant où il vaut mieux baisser la tête en marchant et où pratiquer la lutte peut vous sauver la mise.
Ah la lutte ! En ex-URSS c'est un sport ô combien estimé, le sport du mâle par excellence. Dans les années 60, les soviétiques trustent les médailles notamment dans la catégorie «gréco-romaine». Otari gagne moultes titres dans les catégories jeunes. A 18 ans on le dit fin prêt pour disputer les championnats du monde et avant même la compétition (qui se dispute chaque année) on le désigne déjà comme le futur champion du monde. La compétition en 1966 se déroule à Toledo, Ohio aux USA, sauf qu'Otari ne voit jamais le sol américain. Peu de temps avant la compétition, il est en effet inculpé de viol et même condamné par un tribunal de Moscou. On ne connait pas les circonstances de cette terrible histoire mais Otari est condamné à 9 ans de prison, enfin disons plutôt de camp de travaux forcés. Il n'en purge que 5. En 1970, on le diagnostique schizophrène, il est atone et sans émotions, on le transfère du camp de Lubin à un hôpital psychiatrique.
Et là plus de nouvelles, sa biographie connait un blanc de plusieurs années, on ne le retrouve qu'au milieu des événements menant à la chute de l'URSS. Il est devenu un business man, possédant plusieurs discothèques, casinos et commerces profitant des libertés qu'on lui accorde. 
On apprend qu'en 1985, il s'est engagé dans l'action sociale en créant une fondation et en devenant président du fonds de protection sociale des athlètes prénommé «Fondation Lev Yashin», (du nom du célèbre gardien de but soviétique seul gardien à avoir gagné le Ballon d'Or).

Otari l'athlète (au milieu)  (source:play-azlab.com)

Otari l'athlète (au milieu) (source:play-azlab.com)

Capitalisme et gangstérisme

Les années 80 ont été une décennie charnière pour Otari, celle où il devient l'homme du monde respectable et le gangster sans foi ni loi. Cette ascension sociale, il l'a doit à sa passion première, la lutte gréco-romaine. N'ayant pas connu la carrière internationale qu'on lui promettait, Otari se met en quête de titre par défaut. Il rejoint le Dynamo Sports Club, un célèbre club de sport et fitness de l'Etat. Structure d'élite pour le sport olympique soviétique et ses "maîtres des sports". Il devient entraîneur de lutte. Il aura sous sa coupe quelques futurs champions olympiques. Mais le Dynamo Sports Club c'est surtout le club de sport de la milice de Moscou. Un endroit où la pègre se mélange avec les représentants de l'Etat (policiers et agents de sécurité) et les sportifs. Une poudrière et un nid à embrouilles qui mène Otari au firmament de la criminalité en ménageant la chèvre et le chou.  Il se constitue une vraie bande de malfrats, particulièrement redoutable.
Sa réputation de sportif et d'homme d'affaires lui ouvrent les portes des politiques, trop heureux de se faire graisser la patte. Otari apprend vite les ficelles dans ce système qui affame les plus démunis et enrichit les plus riches. Les années 80 dans la société soviétique sont déjà des années de dérèglement et de faux semblants. La Perestroïka est en marche, celle qui doit «mettre un frein à l'immobilisme» du système communiste. C'est un échec, dû notamment à des hommes comme Otari, des nouveaux hommes d'affaires para-mafieux qui s'emparent des richesses du pays et qui profitent de la corruption endémique du parti au pouvoir.

Otari saisit sa chance de prendre une part du gâteau, il fonde l'association «21ème Siècle», une organisation dédié au financement des événements sportifs et du sport en général. Mais le but avoué est d'utiliser cette association comme façade légale pour le racket. Les affaires sont florissantes en ces années 90 qui voient les investissements se multiplier. Otari s'autorise le mélange des genres sans remords ni vergogne.  On le présente comme un mafieux et bien soit, il l'est, ça ne l'empêche pas de s'acoquiner avec la fine fleur de la politique, Aleksandr Vladislavlev et Boris Elstine en tête et de la Jet Set moscovite comme le crooner Joseph Kobzon et le chanteur Rozenbaum. Elstine est tellement copain avec lui qu'en 1994, il lui signe une ordonnance accordant à Otari la gestion d'une société anonyme d'import-export. La dite société peut donc désormais importer et vendre des milliers de tonnes de ciment, d'aluminium, de titane, de mazout et d'autres minerais prélevés sur les réserves de l'Etat. Ça c'est un pote le Boris.

Le Otari Club
Le Otari Club

Médiateur entre mafieux

Il distribue l'argent à foison à des orphelinats et des vétérans de guerre afghans. Mais son passe-temps favori c'est de jouer les peacemakers entre mafieux russes. Alors ça c'est son kif !  
A l'époque les tensions sont très vives entre deux factions de la mafia russe, les mafieux du Causase et les mafieux de Tchétchénie. Les meurtres se comptent par centaine chaque année, un vrai bain de sang. 
Sa position de plus en plus hégémonique au sein de cette jeune Russie commence à faire grincer des dents. Non seulement il n'arrive pas calmer les tensions dans la mafia russophone mais en plus il continue à s'ingérer dans toutes sortes de commerces illégaux. Il devient un agent d'importation pour de grosses entreprises notamment de distributeurs automatiques, commerce protégé par la mafia depuis des lustres, il laisse des miettes à la concurrence et ça c'est pas sport.
Une anecdote qui en dit long, le célèbre journaliste Iouri Chtchekotchikhine (décédé le 2 juillet 2003 dans des circonstances troubles) se trouve à un mariage de haute tenue avec un responsable sécurité, lorsqu'il aperçoivent tous deux Otari et ses amis politiciens se pavant, comme Iouri en témoigne dans le Moscou Times : 
«Nous savions tous les deux qui était vraiment Otari. Mais il n'y a pas eu une réception ou une présentation où je ne l'ai pas rencontré, et vu entouré par les mêmes personnes». Et M. Kvantrishvili, dit même à Iouri Chtchekotchikhine quand celui-ci lui demande si ce qu'on dit sur lui est vrai : «Bien sûr, tout cela est vrai mais mes enfants seront honnêtes».
Le pire c'est qu'il s'imagine vraiment honnête si on croit des enregistrements téléphoniques de lui publiés par Komsomolskaïa Pravda après sa mort. Il pense partir de Russie mais il aime trop son pays et il y renonce et ce même après l'assassinat de son frère en août 1993.

12 ans pour résoudre le crime

En 1993, Otari fonde son parti politique «le Parti des Athlètes», comme un gimmick à sa carrière sportive avortée. Ca sera son dernier acte. Entre-temps son propre frère Amiran tombe sous les balles de gangsters tchétchènes à Moscou alors qu'il est accompagné de son ami Fiodor Ishin boss d'un gang de Kazan, qui est tué lui aussi.
En janvier 1994 c'est un proche d'Otari, Sergei Koreglov qu'on retrouve dans une rivière après une disparition de plusieurs mois.
Le 5 avril 1994 à 17h45, Otari V. Kvantrishvili, tout à sa routine, quitte un établissement de bains dans son quartier d'enfance, entouré de ses gardes du corps.  Trois coups de feu retentissent, Otari est touché et meurt sur le parking. Le coup est parfait, l'oeuvre d'un tireur d'élite posté dans un immeuble à l'angle de la rue.
Dans l'un des cimetières les plus célèbres de Moscou, le Vagankovskoye, les mondes médiatique, sportif, du divertissement, des sports et de la politique se pressent pour rendre un dernier hommage.  Durant l'enterrement, on joue le thème musical du film «Le Parrain», tout un symbole, mi-ironique mi-iconique. Otari va reposer à côtés de son frère, Amiran.
Otari l'ami de tout le monde mais qui visiblement avait aussi des ennemis farouches.
Les supputations vont bon train. Qui aurait eu le cran de faire un tel coup que ce soit le commanditaire ou le tueur. Très vite les regards se tournent sur le tueur à gages Alexander Solonik à qui on prête déjà déjà l'assassinat du vor v zakone Valery Dlugach l'anne précédente mais jamais arrêté Solonik est retrovué mort près d'Athènes, tué par son prpre gang.
Ce n'est qu'en 2008, que 4 hommes, une partie des commanditaires et tueurs d'Otari sont traduits en justice. 
Le procès va prouver qu'il a bien été tué sur fonds de rivalité mafieuse entre Caucasiens et Slaves. Alexei Orekhov Sherstobitov aka "Lesha Soldat", un des accusés raconte qu'il a rejoint un groupe criminel au début des années 90 après avoir rencontré un agent du KGB, Grigory Gusyatinksy. Grigory a mené en sous-main une bande de tueurs, les Orekhovo-Medvedkovo (dont faisait partie Solonik). Ils sont accusés d'avoir mené 12 meurtres et tentatives de meurtres contre d'autres PDG russes notamment celui de la Russkoe Zoloto, Alexander Tarantsev. 
Cette bande obéissait à quiconque pouvait payé. Toutefois on leur prête une allégeance toute particulière pour Sergey Timofeev. La mort d'Otari aurait été commandité justement par "Sylvester" (surnom dû à sa ressemblance avec Stallone) Timofeev, un boss de gang qui était entré en conflit avec lui sur plusieurs affaires notamment celle d'une raffinerie de pétrole à Tsuape mais le procès ne le démontre pas.

Ivankov à gauche, Otari à droite // Le gang Orekhovo-Medvedkovo (Ezoteriker.ru)Ivankov à gauche, Otari à droite // Le gang Orekhovo-Medvedkovo (Ezoteriker.ru)

Ivankov à gauche, Otari à droite // Le gang Orekhovo-Medvedkovo (Ezoteriker.ru)

Quelque temps après la mort d'Otari Kvantrishvili, à la fin du mois de mai, une douzaine de vor v zakone (voleurs dans la loi) et des autorités représentant les groupes criminels "slaves" russe se sont rassemblés à Vienne, la capitale autrichienne. Vyacheslav Ivankov dit le «Petit Japonais» un des vor les plus redoutés était l'un des organisateurs de ce rassemblement. Entre autres choses, lors de ce "congrès", on a divisé les territoires et intérêts de plusieurs «personnalités» assassinés dont Otari. Mais ce partage n'a pas réduit la violence pour autant.
Grigory Gusyatinksy est assassiné en janvier 1995 par Alexei Sherstobitov et Timofeev meurt dans l'explosion de sa Mercedes le 13 septembre 1995 sur fonds de conflit avec, on ne sait qui entre tchétchènes et Vyacheslav Ivankov à propos d'une dette de drogue. D'autres avancent l'hypothèse d'une vengeance d'Ivankov qui accusait Timofeev d'avoir tué un de ses proches, Viktor Nikiforov (qui aurait pu être le fils illégitime d'Ivankov).
Le 29 septembre 2008, les quatre gangsters sont reconnus coupables, pour l'organisation de l'assassinat de Kvantrishvili. Alexei est celui qui a tué Otari mais il n'est condamné qu'à 23 ans de prison. Pour information, Alexei n'avait reçu qu'une Lada pour tout paiement pour avoir tué Otari Kvantrishvili. Un luxe à l'époque dans cette Nouvelle Russie.

 

Sources : PrimeCrime, CrimeRussia

Article paru sur le site Outsider Mag en 2014.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents